Actuellement exposition Avant les nuages d'Emmanuel Gilbert jusqu'au 25 mai.

Les Oubliés

Nietzsche considérait que l’oubli est un gardien de la vie. Les Oubliés sont aussi les gardiens de nos vies ancestrales, celles qui ont disparu de nos réalités mais pas de nos mémoires. On ne découvre pas - Les Oubliés - par hasard. Il faut avoir le cœur et la volonté d‘arpenter les montagnes corses pour retrouver ces lieux du souvenir pour en saisir les âmes. Lorsqu’on les approche, il ne règne que le silence troublant, presque hostile, d’une nature qui vous accueille et vous entoure comme une matrice inquiétante. Elle a su reconquérir ses espaces sur ces pierres érigées par l’homme, et semble envoyer des signes à l’humain qu’il n’est plus forcément le bienvenu. Les arbres, les feuilles et les plantes figés dans une éternité se sont de nouveau appropriés leurs propres lieux de vie et vous renvoient à votre statut d’intrus qui vient finalement violer leur environnement. Et puis, le moment d’étonnement passé devant tant de beauté, il s’étire. En marchant lentement, en s’invitant pas à pas sans brusquer les choses entre ses murs couleur granit marqués par les blessures et les fêlures du temps, vous finissez par vous glisser dans ces failles mémorielles, pour capter au plus profond de vous-même, l’âme des pierres, celles qui vous rappellent que des vies ont bien existé, mais qu’elles ont été éternellement et régulièrement meurtries par l’histoire: la douleur des hommes jamais revenus de la guerre, l’anéantissement d‘une terre par des conquérants qu’il faut fuir, l’absence de ressource, la sécheresse, le manque d‘eau, la force de la nature qui finalement après tant de combats perdus contre elle vous pousse au départ, car elle ne devient plus nourricière et finit par balayer les hommes et les femmes vers un point de non-retour, en provoquant leur départ irrémédiable vers l’abandon. La vie humaine n’est plus présente entre les ruines des oubliés. Mais une autre vie y a pris place. Nous devons y retourner pour graver ce passé dans nos mémoires afin ne pas le laisser s’enfoncer dans l’indifférence. Devons-nous pour autant reconstruire cet avant à la lumière de notre présent ? Je n’en suis pas certain. D’autres vies y ont pris place. Elles continuent de cohabiter dans l’invisible avec celle des âmes disparues mais bien présentes que nous n’oublierons jamais car elles sont éternelles.